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Imprimer 03/12/2021 IP/IT- Données personnelles

La protection des marques renommées. Illustration par deux décisions récentes de l’EUIPO à propos de la marque NUTELLA

Dans deux décisions récentes de l’EUIPO, la société FERRERO obtient gain de cause dans la procédure d’opposition formée contre deux demandes de marques, faiblement similaires à la marque « NUTELLA », mais dont l’usage est susceptible de tirer indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure ou de nature à leur porter préjudice (EUIPO, 25 oct. 2021, FERRERO c/ UAB « GRANEX » ; EUIPO, 30 nov. 2021, FERRERO c/ MOJTABA JAVAHERI).

Les marques renommées peuvent se définir comme les marques connues d’une part significative du public pour les produits ou les services qu’elles couvrent (CJCE, 14 sept. 1999, aff. C-375/97).

Afin de lutter efficacement contre des comportements déloyaux, ces marques bénéficient d’un régime de faveur. Elles sont protégées au-delà du principe de spécialité sans qu’il soit nécessaire de prouver un risque de confusion. Le titulaire peut s’opposer à l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque renommée pour des produits identiques, similaires ou non similaires si cet usage, sans juste motif, tire indûment profit du caractère distinctif ou de la renommée de la marque ou leur porte préjudice.

La qualification de marque renommée permet également à son titulaire de s’opposer à des demandes de marques présentant peu de similitudes phonétiques ou visuelles avec le signe protégé. C’est ce que viennent illustrer deux décisions récentes de l’EUIPO, à propos de la marque « NUTELLA » (EUIPO, 25 oct. 2021, FERREO c/ UAB « GRANEX » ; EUIPO, 30 nov. 2021, FERRERO c/ MOJTABA JAVAHERI). 

En l’espèce, la société FERRERO s’opposait, d’une part, au dépôt de la marque « Nutifello » et, d’autre part, à la marque « MINDELLA » déposées, toutes les deux, pour des produits en classe 30 ("gaufres, gaufrettes, gaufrettes comestibles, gaufrettes à base de flan, pâtisserie contenant de la crème, viennoiserie" pour la première ; bonbons, mousse sucrée, biscuits, fruits enrobés de chocolat, confiserie au chocolat, pâte à tartiner au chocolat, etc. pour la seconde ).

Dans les deux décisions, L’EUIPO souligne la renommée incontestable de la marque « NUTELLA » pour les produits de pâtes à tartiner. Diverses attestations (extraits de journaux, publicités, factures, rapports, décisions de l’INPI, sondages….) sont produites afin de prouver la renommée acquise par la marque depuis de nombreuses années en France et en Allemagne (considérés, au regard de la population qui y vit, comme des parties substantielles du territoire de l’Union européenne). La renommée est, en effet, un fait juridique qui se prouve par tous moyens. On emploie généralement la technique du faisceau de critères en tenant compte de l’ancienneté de la marque, son succès commercial et l’importance des investissements réalisés par l’entreprise pour promouvoir la marque.  La renommée peut également, comme en l’espèce, se prouver par des sondages d’opinion. On rappellera donc l’importance pour les titulaires de constituer des dossiers de preuve établissant la renommée de leur marque afin d’anticiper de potentiels litiges.

La mise en œuvre de la protection de la marque renommée est conditionnée à la preuve d’un certain de degré de similitude visuel, phonétique ou conceptuel entre les signes, de nature à inciter le public à établir un « lien », une association entre la marque renommée et le signe litigieux.

Cette condition de "lien" n’est pas prévue par les textes, mais reflète, selon l’Office, « la nécessité de déterminer si l’association que le public pourrait établir entre les signes est telle qu’il est vraisemblable que l’usage de la marque demandée tire indûment profit du caractère distinctif de la marque antérieure ou lui porte préjudice ».

Appliquant la jurisprudence Intel (CJCE, 27 nov. 2008, aff. C-252/07), l’EUIPO énonce que pour établir ce lien, sont notamment pris en compte le degré de similitude entre les signes, la nature de produits et des services visés par l’enregistrement, l’intensité de la marque renommée, le degré de caractère distinctif de la marque antérieure et l’existence d’un risque de confusion dans l’esprit du public.

La comparaison des signes en présence doit être réalisée de façon globale, en tenant compte de tous les facteurs pertinents de l’espèce. Un faible degré de similitude des signes peut être compensé par l’intensité de la renommée de la marque, le degré de son caractère distinctif, intrinsèque ou acquis par l’usage ainsi que la similitude, sinon l’identité, des produits en cause (V. en ce sens : Cass. com. 31 janv. 2018, n°16-10.761).

C’est précisément ce raisonnement qu’applique l’EUIPO dans les deux affaires. 

L’EUIPO procède à une comparaison des signes litigieux et conclut  que les signes en présence sont similaires au moins à un faible degré sur un plan visuel et sur un plan phonétique.

Pour la marque « MINDELLA » : sur le plan visuel, les signes coïncident par les lettres « ELLA » situées à la fin des deux marques et pouvant être considérées comme des éléments distinctifs. Les signes utilisent une police très similaire, voire identique. La couleur des lettres est également très proche, puisque dans les deux signes, la (les) lettres initiale(s) sont en noir et les autres lettres sont en rouge. L’EUIPO considère que la représentation du cœur pour la marque « MINDELLA » ainsi que l’inscription en arabe sous celui-ci ont une incidence très limitée sur les consommateurs, ces derniers ayant davantage tendance à se focaliser sur l’élément verbal de la marque. Sur le plan phonétique, les singes coïncident par le son des lettres « ELLA ». 

 Pour la marque "Nutifello": sur le plan visuel, les signes coïncident par les lettres « NUT**ELL* ». Ils diffèrent toutefois par la lettre « A » du signe antérieur et par les lettre « IF » et « O » du signe contesté. Il existe également une certaine similitude dans les couleurs des mots « NUTELLA » et « Nutifello » où une lettre est de couleur foncée et les autres lettres sont en rouge. Sur le plan phonétique, la prononciation des signes coïncide par le son des lettres « NUT » et « ELL » présentes à l’identique dans les deux signes. S’il est vrai, reconnaît l’EUIPO, que le signe « Nutifello » est accompagné des mots, écrits en petits, « wafers with make of hazelnuts cream fourrage », ces mots ne seront probablement pas prononcés par le public. Les consommateurs font généralement référence aux éléments dominants, tandis que les éléments moins importants ne sont pas prononcés. De plus, « l’économie de langage pourrait constituer une raison de supposer que certains éléments seront prononcés, tandis que d’autres seront omis, en particulier dans le cas de marques très longues ».

Une fois cette similitude établie, l’EUIPO se penche sur le "lien" que peuvent établir les consommateurs entre les signes en présence.

L’Office européen conclut qu’en raison de la similitude entre les signes, de la similitude des produits et du public pertinent (les produits appartenant au même du secteur de marché et étant commercialisés par les mêmes canaux de distribution), de la renommée de la marque antérieure, les consommateurs pertinents associeront probablement la marque contestée au signe antérieur, c’est-à-dire qu’ils établiront un « lien mental » entre les signes.

Si le lien est bien établi, il ne peut suffire, à lui seul, pour conclure à l’existence d’une atteinte à la marque renommée au sens de l’article 8, paragraphe 5 du RMUE. Encore faut-il prouver l’existence d’un profit indu tiré du caractère distinctif ou de la renommée de la marque antérieure, d’une atteinte à la renommée de la marque ou d’un préjudice au caractère distinctif de la marque antérieure.

Bien que le préjudice ou le profit indu puisse être seulement potentiel dans le cadre de la procédure d’opposition, une simple possibilité ne suffit pas à appliquer l’article 8, paragraphe 5 du RMUE. Si le titulaire de la marque antérieure n’est pas tenu de démontrer l’existence d’une atteinte effective et actuelle à sa marque, il doit « apporter des éléments permettant de conclure prima facie à un risque futur non hypothétique de profit indu ou de préjudice ».

L’opposante doit donc établir, par des éléments de preuve ou à tout le moins par un ensemble cohérent d’arguments, qu’un préjudice ou un profit indu est probable dans la mesure où il est prévisible dans le cours normal des événements.

La division d’opposition accueille les arguments avancés par la société FERRERO concernant l’existence d’agissements parasitaires.

Elle rappelle, à titre préalable, que la notion de profit indûment tiré ne requiert pas nécessairement une intention délibérée d’exploiter la renommée dont bénéficie la marque d’un tiers. Elle « concerne le risque que l’image de la marque renommée ou les caractéristiques projetées par cette dernière soient transférées aux produits désignés par la marque demandée, de sorte que leur commercialisation serait facilitée par cette association avec la marque antérieure renommée ». L’évaluation du profit indu doit être fondée sur une appréciation globale de tous les facteurs pertinents du cas d’espèce. 

En l’espèce, en raison de la forte renommée de la marque « NUTELLA », il est inévitable que l’image de cette dernière et les caractéristiques projetées par cette dernière (« image de haute qualité, de confiance et de joie ») soient transférées aux produits de la demanderesse. Une telle association ne peut que renforcer le potentiel de la marque contestée en lui conférant un avantage commercial dans la mesure où les consommateurs associeraient la marque contestée à la marque antérieure renommée. Cela signifierait que le signe contesté pourrait bénéficier d’un degré de reconnaissance immédiat en raison d’une association avec la marque antérieure.  

Dès lors que le risque d’un profit indu est caractérisé, il n’est pas nécessaire d’examiner si d’autres formes de préjudices sont également présentes. L’opposition est ainsi fondée au sens de l’article 8, paragraphe 5, du RMUE.

On retiendra donc qu'une atteinte à la marque renommée peut être caractérisée, même en présence d'une faible similitude entre les signes opposés, dès lors qu'un lien entre les deux marques peut être établi par le public et que le titulaire rapporte la preuve d'une atteinte à la marque renommée (profit indu ou atteinte à la renommée ou au caractère distinctif de la marque).

Ces décisions illustrent également l’intérêt, par des investissements notamment publicitaires, de construire une stratégie de valorisation de sa marque afin de bénéficier d’une protection renforcée et de lutter contre les agissements parasitaires de ses concurrents.